L’implantation des insectes dans l’alimentation du bétail

Depuis une cinquantaine d’années (1), le monde prend de plus en plus conscience de leurs actions et des conséquences de celles-ci sur l’environnement. Ainsi, la dernière génération a été élevée avec le poids des problèmes mondiaux tels que la pollution, le réchauffement climatique ou la surconsommation. On attend d’elle qu’elle règle des centaines d’années de dégâts environnementaux causés par les générations précédentes en, par exemple, réduisant sa consommation de plastique ou en triant ses déchets. Ce n’est pourtant pas exclusivement nos gaspillages qui en sont la cause. Étiez-vous au courant que l’élevage du bétail contribue aussi à la dégradation de notre environnement?

Des insectes dans notre assiette ! | L'actualité
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Bien sûr, il y a plusieurs facteurs qui augmentent son impact environnemental et réduisent sa durabilité (dans un sens écologique),  mais nous avons décidé de nous concentrer plus spécifiquement sur cette question: Comment est-il possible de diminuer l’empreinte écologique des aliments servis aux animaux d’élevage (ou bétail)? La réponse à celle-ci : en remplaçant les ingrédients problématiques qui les composent par des insectes comestibles. Laissez-nous vous expliquer pourquoi:

 

L’élevage d’insectes au Canada: les espèces

D’abord, il faut comprendre que ce n’est pas tous les insectes qui sont dédiés à l’alimentation, humaine comme animale. Les trois grandes espèces élevées au Canada sont les grillons domestiques, les ténébrions meuniers et les mouches soldats noires. Cette dernière est spécialement adressée au bétail, pour diverses raisons. En effet, en plus d’avoir un système immunitaire de béton, lui permettant de consommer tout et n’importe quoi, des céréales, des fruits et légumes en allant jusqu’aux cadavres en décomposition, cette espèce est reconnue pour avoir un cycle de vie très court, d’environ un mois. Ces deux aspects combinés rendent donc l’élevage de ses larves très efficace, puisqu’elles sont prêtes à être récoltées seulement dix jours après qu’elles aient éclos, et qu’elles mangeront tout ce qui leur sera offert. De plus, certains animaux d’élevage en mangent déjà de façon naturelle (voir Les animaux susceptibles d’adhérer à ce nouveau régime).

Grillons domestiques vivants - St Laurent
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Les pertes alimentaires rentabilisées

D’ailleurs, cette dernière capacité est aussi très intéressante si nous nous penchons sur le sujet du gaspillage alimentaire. D’après Recyc-Québec, 63 % des aliments jetés dans les habitations canadiennes moyennes  auraient pu être consommés. En moyenne, chaque foyer canadien gaspille 140 kilogrammes de nourriture (masse d’un cochon d’élevage moyen), soit environ  1 100$, par année (2). L’alimentation variée des larves de mouches soldat noires pourrait permettre de faire de l’économie circulaire : nourrir le bétail avec les insectes, nourrir la population avec le bétail, nourrir les insectes avec nos reste de table ou encore ceux de la restauration, et puis le cycle recommence. En partant du fait que la plupart de ces petits êtres peuvent manger de manière saprophage (capacité à consommer des matières organiques en décomposition), elles pourraient évidemment se sustenter avec des matières animales, tels que les carcasses ou encore le fumier, rendant encore plus efficace leur élevage.

Le seul problème, c’est qu’on n’a pas encore la permission d’élever des insectes sur des résidus animaux (qui peuvent avoir un apport nutritionnel plus élevé que les résidus végétaux) puisque cela pourrait engendrer quelques risques. Par exemple, un poulet pourrait tomber malade après avoir consommé une larve qui aurait été mal nettoyée et dont la surface extérieure était contaminée. Mais ce n’est pas une cause perdue! Au contraire, c’est justement le sujet d’une des recherches du pavillon Paul-Comtois de l’Université Laval (dont notre mentor, Mme Mariève Dallaire-Lamontagne, fait partie). Leur but: démontrer qu’il est possible de rendre des insectes propres et d’une assez bonne qualité microbiologiques pour être en mesure de les donner à des animaux, et ce, même s’ils sont nourris de cadavres et de fumiers.

Voici une vidéo qui démontre la voracité des larves des mouches soldats noires:

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Un concept déjà exploré

Utiliser des ressources impropres à la consommation humaine afin d’élever des insectes n’est pas qu’une idée émise par des scientifiques trop enthousiastes: elle a, en effet,  déjà été mise en pratique. Dans le pavillon d’agriculture urbaine du Cégep de Victoriaville, les étudiants inscrits au cours d’élevage d’insectes comestibles nourrissent leurs petites bêtes avec les restes alimentaires provenant de leur cafétéria et d’une épicerie du coin (la Manne) (3). Ils réutilisent d’ailleurs le fumier produit par ces bestioles en l’utilisant comme fertilisant dans les serres de leur collège; il n’y a donc aucune perte. En théorie, cette pratique pourrait également être utilisée dans les fermes: on élèverait des insectes pour nourrir le bétail, et on fertiliserait les plantations avec leur lisier. Évidemment, les producteurs agricoles ne travaillent pas tous dans ces deux champs d’expertise, mais c’est définitivement une idée à explorer dans le futur. 

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Les animaux susceptibles d’adhérer à ce nouveau régime

Concrètement, les animaux les plus susceptibles d’adhérer à l’inclusion d’insectes dans leur diète sont la volaille, les poissons des piscicultures et les porcs d’élevage. Par exemple, dans le cas des poissons carnivores (truites, saumons, etc.), ils vont en attraper pour se nourrir. Les poulets vont picorer les sols à la recherche des larves. Ces bestioles se trouvent donc déjà naturellement au sein de leur alimentation. Les ruminants, eux, bien qu’ils nécessitent une grande quantité de ressources (espace, nourriture, eau), ne sont pas la cible principale puisqu’ils ont besoin de constituants, tels que des fibres, que les petites créatures n’offrent pas.

Notre expérimentation 

C’est bien beau toutes ces informations, mais en quoi l’implantation des insectes dans le domaine de l’alimentation animale est-elle meilleure pour l’environnement? Pour répondre à cela, il faut d’abord s’intéresser aux ressources posant problème qui sont destinées à nourrir le bétail. Prenons comme exemple le soya

Dans le même ordre d’idées, les insectes pourraient également remplacer les farines de poissons. Le principal inconvénient de celles-ci est le suivant: elles sont produites avec des grands volumes de petits poissons, qui sont nécessaires pour maintenir l’équilibre des écosystèmes marins. La surpêche de certaines espèces de petits pélagiques détruit donc ces écosystèmes.  Ces farines sont utilisées dans l’alimentation des animaux d’élevage comme source de protéines et de gras. Les insectes sont pour leur part une grande source de ces mêmes constituants alimentaires: les larves de mouches soldat noires peuvent fournir environ 35%-75% de protéines de haute qualité et 35% de matières grasses (lipides) (4), des vertus comparables à celles de la farine de poisson. Naturellement, leur teneur est variable et dépend de leur régime alimentaire (5).

Alors pourquoi ne pas remplacer ce produit par une farine à base d’insectes, qui est beaucoup moins destructive et qui fournit les mêmes nutriments?

D’après les résultats d’une expérience menée par Sophie St-Hilaire, du département de la gestion de santé de l’Université de l’IPE (Île-du-Prince-Édouard), les larves de mouches soldat séchées ne contiennent pas tous les nutriments essentiels à la croissance des animaux d’élevage, donc elles doivent être complétées par d’autres sources (ex.: farines de poissons) (6). Bien que, dans un monde idéal, les mouches soldat noires seraient une source complète de nutriments, nous n’avons pas d’autre choix que de la compléter avec une différente ressource.

L’industrie actuelle et ses aspects à développer

D’après un article du CRETAU (Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine), il y avait plus de 89 entreprises d’élevage d’insectes comestibles en Amérique du Nord en 2020, dont 19 au Québec (7). Certaines pour l’alimentation humaine, d’autres pour l’alimentation animale. Malgré ces chiffres, l’industrie actuelle de l’entomoculture est loin d’être développée à son plein potentiel: les élevages d’insectes sont encore jeunes et les données scientifiques sur divers critères en rapport avec ceux-ci sont encore à documenter. Il faut noter que c’est encore une industrie relativement nouvelle et méconnue au sein de la société, ce qui explique le prix élevé des farines et produits à base d’insectes (le coût est d’ailleurs une des plus importantes entraves à l’élargissement de la demande) (8)

Légalisation et réglementation

Un autre problème soulevé par le MAPAQ (le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) est le manque d’encadrement légal par rapport à la fabrication d’aliments faits à base d’insectes destinés à la consommation animale. Toutefois, il est important de savoir qu’une entreprise désirant produire ce genre de denrées alimentaires ne nécessite pas un permis (10). Il y a un grand nombre de recherches et de règles concernant l’élevage traditionnel (vaches, moutons, cochons, etc.), mais celles-ci ne s’appliquent pas aux productions d’invertébrés, catégorie dont font partie les insectes ; il n’y a donc pas de régulations concernant la sécurité, la commercialisation et l’élevage, ce qui peut poser problème aux nouvelles entreprises. Bref, il est évident que la mise en place de règles précises par rapport à l’inclusion de ces petites créatures dans le régime du bétail faciliterait le développement à long terme de l’industrie.

Selon le professeur du cours d’élevage d’insectes comestibles au Cégep de Victoriaville, Alexandre Gardner, le manque de mécanisation et de fonds freine la production d’insectes au Québec : «Si on veut se positionner, le Québec devra investir dans la recherche. Il faudra aussi mécaniser la production et, pour cela, les entreprises devront avoir accès au financement (9)», dit-il. 

Notre conclusion 

Bref, notre but était de démontrer qu’il y aurait bien une façon de rendre l’élevage du bétail moins dévastateur pour les écosystèmes et l’environnement. La solution: nourrir celui-ci avec des insectes. Après avoir lu nos articles, avez-vous toujours la même vision de ces minuscules bestioles pourvues d’un infini potentiel?

 

Médiagraphie: 

(1) MATAGNE, Patrick. Aux origines de l’écologie, 2003, https://www.cairn.info/revue-innovations-2003-2-page-27.htm, (Page consultée le 11 février 2022 ).

(2) RECYC-QUÉBEC. Gaspillage alimentaire, [s.d.], https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/citoyens/mieux-consommer/gaspillage-alimentaire/, (Page consultée le 4 février 2022).

(3) TOUPIN, Manon. Élevage d’insectes comestibles : un savoir, un goût et une industrie à développer, 17 mars 2021, https://www.lanouvelle.net/2021/03/17/elevage-dinsectes-comestibles-un-savoir-un-gout-et-une-industrie-a-developper/, (Page consultée le 11 février 2022).

(4) CISSÉ, M’ballou. Comparaison de différentes techniques de prétraitement et de séchage sur la charge microbienne, les caractéristiques physicochimiques et nutritionnelles des larves de mouches soldats noires (Hermetia illucens) comme aliment alternatif pour l’alimentation animale, Québec, Lindia Saucier et al., 2019. https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/37548/1/35516.pdf, (Page consultée le 4 février 2022). (voir p.20, 1.5.1)

(5)  KONE, Mahamoudou. Étude de la composition des matières organiques végétales résiduelles sur les performances de croissance, les bilans de bioconversion et la qualité nutritionnelle des larves de mouches soldats noires, Québec, Grant W Vandenberg, 2020. https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/38131/1/35821.pdf, (Page consultée le 30 janvier 2022). (voir p.23, 1.4.1)

(6) CISSÉ, M’ballou. Comparaison de différentes techniques de prétraitement et de séchage sur la charge microbienne, les caractéristiques physicochimiques et nutritionnelles des larves de mouches soldats noires (Hermetia illucens) comme aliment alternatif pour l’alimentation animale, Québec, Lindia Saucier et al., 2019. https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/37548/1/35516.pdf, (Page consultée le 4 février 2022). (voir p.21) 

(7) CRETAU. Fiche économique : élevage d’insectes comestibles, 01/06/2020, http://cretau.ca/index.php/2020/06/01/fiche-economique-elevage-dinsectes-comestibles/, (Page consultée le 11 février 2022).

(8) MAPAQ. Production, transformation et consommation d’insectes comestibles au Canada : des occasions à saisir et des défis à relever, Québec, Stéphanie Keable, 2017. https://www.mapaq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/Bioclips/Bioclips2017/Volume_25_no26.pdf, (Page consultée le vvv).

(9) TOUPIN, Manon. Élevage d’insectes comestibles : un savoir, un goût et une industrie à développer, 17 mars 2021, https://www.lanouvelle.net/2021/03/17/elevage-dinsectes-comestibles-un-savoir-un-gout-et-une-industrie-a-developper/, (Page consultée le 4 février 2022).

+ Informations tirées de l’entrevue avec Mariève Dallaire-Lamontagne (Étudiante à la maîtrise en sciences animales et auxiliaire d’enseignement en production et transformation d’insectes comestibles de l’Université Laval) le 13/11/2021.

Sources des médias:

1.  MARIE MAINGUY. Insecte depart.jpg. [s.l].  [s.d].   https://media.lactualite.com/2014/08/insecte-depart.jpg (Page consultée le 14 février 2022).

2. LA FERME AUX INSECTES. Grillons d’adultes taille 8.  [s.l].  [s.d]. https://www.lafermeauxinsectes.com/2898-large_default_2x/grillons-d-adultes-taille-8.jpg (Page consultée le 14 février 2022).

3. SANDEC EAWAG. BSF Larvae vs. Hamburger. Publiée le 29 juin 2017. https://www.youtube.com/watch?v=9BhuGy-fGYU (Page consultée le 14 février 2022).

4. JOHNNY_VECTOR. Farm animal outline icon set pig cow chicken fish vector image. [s.l].  [s.d]. https://www.vectorstock.com/royalty-free-vector/farm-animal-outline-icon-set-pig-cow-chicken-fish-vector-36082541 (Page consultée le 14 février 2022).

Sources du Slides:

(1): GOUVERNEMENT DU CANADA, Documents proposés à l’incorporation par renvoi – Tableau canadien des ingrédients des aliments du bétail (TCIAB), [s.l]. [s.d]. https://inspection.canada.ca/sante-des-animaux/aliments-du-betail/modernisation-du-reglement-sur-les-aliments-du-bet/tciab/fra/1613423298011/1613423298323#a1_3_1 (Page consultée le 12 frévrier 2022).

(2): JOURNAL OF ANIMAL SCIENCE AND BIOTECHNOLOGY, Black soldier fly and gut health in broiler chickens: Insights into the relationship between cecal microbiota and intestinal mucin composition, 2020, https://www.researchgate.net/publication/338992725_Black_soldier_fly_and_gut_health_in_broiler_chickens_Insights_into_the_relationship_between_cecal_microbiota_and_intestinal_mucin_composition, (Page consultée le 12 frévrier 2022).  

(3): THOMAS SPRANGHERS et al. Gut antimicrobial effects and nutritional value of black soldier fly (Hermetia illucens L.) prepupae for weaned piglets, 2018, https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0377840117307721?casa_token=M3jDu838RlkAAAAA:l63pflChw3twmy-UUVYZ7LsWgvcwIE9F99L-PSMRF1-OGq5i1DWZz0kAh2sRRPoW35waiVCYBg, (Page consultée le 12 frévrier 2022).

(4): GREENPEACE. Mordue de viande : L’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja, Paris, GreenPeace France, 2019. https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2019/06/hooked_on_meat_FR_web.pdf?_ga=2.125466956.779154586.1644007215-1965900467.1644007215 (Page consultée le 10 février 2022).

 

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